Je me souviens bien d’une de mes premières visites pré-anesthésiques en premier semestre. Il s’agissait d’un patient au système cardio-vasculaire abîmé par le temps, la cigarette et un régime chti Deluxe. Peu habitué aux soins médicaux il n’avait pas de traitement. Les publications sur les béta-bloquants en périopératoire fleurissaient à l’époque et je me trouvais malin de réfléchir à une prescription d’un bétabloquant la veille de son intervention orthopédique… aujourd’hui je ne me pose plus ce genre de question, j’ai en effet un peu tendance à me méfier des béta-bloquants en périopératoire.
Étiquette : soins intensifs
Externe, puis interne j’ai assisté à l’instauration des corticoïdes aux patients en choc septiques pour améliorer la réactivité de leurs vaisseaux aux amines vasopressives.
Djillalli Annane a consacré une partie de sa carrière à développer et à évaluer l’intérêt de ce traitement et un article dans le JAMA en 2002 a clairement enfoncé le clou : moins de mortalité en administrant de l’hémisuccinate d’hydrocortisone (HSHC) aux patients en choc septique. Ite missa est : HSHC pour les patients recevant de la noradrénaline !
Au moins d’Aout dernier est paru dans le NEJM un article (l’étude EPaNIC) qui a secoué mes petits neurones, ils ont encore fait fort ces belges…
Casaer MP, Mesotten D, Hermans G, et al. Early versus late parenteral nutrition in critically ill adults. N Engl J Med 2011;365:506-517Il s’agit d’un article qui a évalué un soutien nutritionnel précoce (en plus de l’entéral) à l’aide d’une nutrition parentérale dans des services de soins intensifs. J’ai pris une bonne petite claque et je ne boude pas mon plaisir ambigu de me contredire et de déclamer au milieu de nulle part : « Merci la Science ! » Cet article conclue qu’il est délétère pour les patients agressés non dénutris de recevoir précocement une nutrition parentérale complémentaire pour obtenir rapidement les objectifs caloriques. Le rationnel pour cette question est un écart entre les recommandations américano-canadienne et européenne. Outre-atlantique on ne se jette pas sur la nutrition mixte avant 7 jours alors que l’ESPEN prône une stratégie plus agressive.Cette question m’a vraiment intéressée parce qu’elle était omniprésente pour les patients dont je m’occupais auparavant en chirurgie viscérale. En effet il existe un rationnel physiopathologique (la lutte contre l’auto cannibalisme) pour proposer tôt une nutrition artificielle aux patients de soins intensifs (je précise plusieurs fois ce terme car les patients de l’étude EPaNIC semblent moins défaillants que des patients de réanimation français). Et les résultats de cette étude remettent fortement en question ce raisonnement. Comme quoi, même avec l’intention de bien faire on fait mal de temps en temps.Quelques remarques amusantes en vrac :
– ces équipes continuent d’utiliser des protocoles d’insulinothérapie agressive alors que c’est fortement remis en question. OK, le dernier auteur est à l’origine d’un des articles majeurs dans le domaine, elle semble continuer à faire ce qui marche chez elle (et peut être pas ailleurs) Ils ont entre 1,5 et 4% d’hypoglycémies. La grande étude qui remettait cette pratique en question trouvait quand même une différence en terme de mortalité en faveur d’une insulinothérapie prudente vs agressive…
– j’ai beaucoup aimé le critère « sortant de réa » plutôt que « sorti de réa » ça n’est pas @Taltyelmna qui contredira ça !
– je suis déçu qu’il n’y ait pas plus de discussion physiopathologique pour expliquer les résultats
– une différence de 6% sur durée de séjour avec la moitié des patients qui restent 3-4 jours, est-ce cliniquement pertinent ?
– quand même encore une majorité de patients de chirurgie cardiaque, une population assez spécifique tout de même… Différente de patients reçus en urgence ou de multidéfaillants comme on peut en voir dans les réas françaises (les résultats seraient-ils accentués ?)
– les auteurs ont reçu des sous de Baxter et tout est publié, c’est bien non ? Ne cédons pas à la paranoïa et ne racontons pas que les résultats auraient été encore plus défavorable pour la parentérale en l’absence de sponsors (je sors -> … )
– pourquoi les auteurs nous racontent encore du post-hoc alors que la portée statistique de ce genre de résultats est faible ? Et bien je pense que ce sont bizarrement des données qui rentrent dans nos esprits ! Et ici l’analyse post-hoc portant sur un sous groupe de patients ne pouvant recevoir de nutrition enterale fait particulièrement écho avec ma pratique des mois passés… Ces patients « digestifs » n’aiment pas non plus recevoir plein de calories dès le départ.Par ailleurs j’aime bien lire les lettres aux auteurs d’un article, ça m’aide à comprendre la portée des recherches sur le domaine, bien utile pour les bizuths comme moi. Cependant on peut se demander comment certaines lettres arrivent à être publiée, le niveau des questions tient parfois du bâton tendu pour se faire battre. Mais mais mais, y’en à des bienset j’ai apprécié le commentaire de M. Bruce Bistrian parce que je pense tout pareil 😉 : essayons de ne donner que des protéines au départ puisque l’organisme produit plein de glucose et qu’il possède d’importante réservés de lipides…En conclusion :
1) Encore une rengaine à la mode de l’industrie qui prend du plomb dans l’aile : la nutrition mixte ne semble pas être la panacée et comme l’écrit M. Paul Marik il aurait été très intéressant d’avoir un troisième groupe sans parentérale (Baxter ne devait pas être d’accord ;-)2) j’aimerais vraiment vraiment beaucoup que l’on trouve des critères clinico-biologiques pour mieux décider la prescription de nutrition artificielle. Pour les situations caricaturales, pas de problèmes on s’en sort très bien avec la clinique. Mais il existe toute une frange de patients où la conduite à tenir est peu claire à mes yeux. Et les dernières recommandations françaises n’améliorent pas ce point à mon sens. Il s’agit de ces patients à risque parce que vivant une agression particulièrement délétère. On se demande combien de temps ils peuvent tenir sans soutien nutritionnel… Ainsi je trouverais formidable qu’un panel de critères (SOFA + inflammation + aminogramme ??? et ou des tests métaboliques fonctionnels) nous renseignent pour mieux décider du moment opportun pour prescrire la nutrition et surveiller sa tolérance à court terme.