Le 6 juillet 2011 Louis-Adrien Delarue (LAD) a obtenu le grade de Docteur en Médecine. Ce titre à été obtenu sous condition. Celle de gommer les noms des médecins jouant un rôle clef dans l’élaboration de recommandations pour la pratique clinique. Pourquoi ? Parce que le propos de cette thèse est trop clair, trop bien étayé, trop dérangeant : les experts médicaux en charge de l’écriture des recommandations sont sous influence industrielle !
La thèse est un exercice souvent vécu comme laborieux. Questions floues, soutien pédagogique aléatoire et intérêt final souvent discutable rendent peu attractif la rédaction de la thèse d’exercice. Ainsi à titre personnel, après l’échec de plusieurs projets, j’ai fait une croix sur un travail pertinent pour simplement me plier à l’exercice. Je ne crois pas trop affabuler en extrapolant ces propos à bon nombre de collègues dans mon entourage.
Pour LAD, c’est tout le contraire. Cette thèse est vraiment extraordinaire. Elle l’est sur plusieurs points pour moi :
– haut niveau de la question posée
– qualité de la démonstration
– forme attractive démontrant un talent fructifié par d’incalculables heures de travail
J’ai vraiment appris une foule de choses et tous les médecins soucieux de leur liberté et du bien être des patients doivent approcher ce document.
Je ne suis pas prescripteurs des médicaments (anti-Alzheimer, gitazones et anti-COX2) qui sont visés dans son travail et je ne me souviens que vaguement de l’enseignement que l’on a eu sur ces produits à la Fac. Enfin, je me remémore quand même l’acharnement du Prof de Biochimie sur les prostaglandines et ses propos sur les nouvelles molécules révolutionnaires que nous allions connaître chanceux Padawans que nous étions…
La Thèse de LAD a donc été pour moi l’occasion de réviser les indications et les effets indésirables des drogues sus-nommées. Sur le plan technique il existe de nombreux rappels méthodologiques qu’il est toujours bon d’avoir en tête (quelle différence est significative pour un objectif secondaire ?). Ensuite les explications sur les conflits d’intérêts sont fines, elles aident à mieux comprendre la frilosité actuelle en la matière. Enfin je retiens avant tout la revue de la littérature sur l’influence de l’industrie pharmaceutique dans les publications, les formations et la prescription médicale. Ainsi j’ai découvert qu’il existait bon nombre de données solides sur l’impact des Big Pharmas sur les médecins que nous sommes, tout ça ne relève vraiment pas de fantasmes.
Finalement ce travail me suggère une grande question morale : quelle est le degré de prise de conscience des décideurs sous influence ? Quelle est l’intention primitive ? Et comment en arrive-t-on là ? Autrement dit certains leaders d’opinions finiraient-ils par s’auto-persuader de ce qu’ils racontent ?
Je ne cherche pas à dédouaner mais finalement j’aimerais ouvrir d’autres horizons sur lesquels il serait bon de réfléchir : quid des moyens et des objectifs de la formation initiale et continue ? quid de la valorisation du temps médical passé à optimiser sereinement ses pratiques (chanceux que nous sommes dans les hôpitaux publics !) ? quid de la nomination et du suivi des universitaires ? quid des liens possibles avec l’industrie pour dialoguer sur les attentes des patients et des soignants ?
Encore merci à LAD (aka Luke 😉 ) et à Dominique Dupagne d’avoir communiqué sur cette thèse (et l’incroyable soutenance) sur le site Atoute.org
Enfin, j’aimerais souligner que ce type de travail constitue pour moi une bouffée d’espoir qui s’inscrit dans la droite lignée des services rendus par Prescrire et le Formindep. C’est l’Internet qui m’a permis de réfléchir sur ces sujets, il est temps de multiplier les exemples IRL dans les hôpitaux et de montrer aux étudiants et aux internes que le salut de nos patients ne passent pas par la gloutonnerie apportée sur un plateau par Big Pharma.