J’ai assisté hier à la brillante présentation d’un collègue réanimateur sur le lactate de sodium dans les états de chocs. (si vous préférez l’anglais c’est ici) Pour l’anecdote, le présentateur était mon externe quand j’étais interne en réa, ça ne me rajeunit pas…
Étiquette : acidose
Mystery Medicine
Des fois on ne comprend rien… eh bien là c’est le cas… et on le sent bien…
<< Monsieur le Professeur et Cher Maître,
Votre patient, M Maison, 38 ans, cadre commercial, a présenté une acidose métabolique d’origine mal déterminée en post-opératoire immédiat d’une cholecystectomie simplex réalisée via laparoscopie par les soins du Pr TresFier. Il n’y avait aucune particularité anesthésique pour la prise en charge pré et per-opératoire de M Maison.
Ses principaux antécédents sont une obésité, un asthme avec tabagisme persistant et une dyslipidémie. Il ne prend comme traitement que des béta-mimétiques de façon occasionnelle.
Au réveil, M Maison a fait une détresse respiratoire bronchospastique associée à une agitation. Il n’existait alors pas d’arguments pour une iatrogénie liées aux drogues d’anesthésie (réveil dans les conditions usuelles de sécurité conformément à la pharmacocinétique des drogues anesthésiques et réversion de la curarisation par sugammadex.)
M Maison a alors été à nouveau endormi pour gestion de sa détresse respiratoire. En salle de réveil, M Maison est intubé/ventilé et sédaté. Il nécessite d’important besoin en oxygène avec une FiO2 à 100% pour maintenir une SpO2 > 94%. L’hémodynamique est stable avec une pression artérielle à 143/65 mmHg et une fréquence cardiaque à 92 bpm. L’auscultation trouve des sibilants diffus. On pose alors le diagnostic de crise d’asthme chez ce patient tabagique connu pour être peu stable sur le plan de sa maladie asthmatique. Il n’existe pas d’argument clinique pour une anaphylaxie. La biologie montre une acidose mixte (plus franchement respiratoire) avec un pH à 7,1 une PaCO2 à 67mmHg et des bicarbonates à 21mmol/l ; Na 140 mmol/l, K+ 4,3 mmol/l Cl- 107 albuminémie à 45 g/l
Le traitement est alors débuté comportant l’administration de methylprednisolone et béta-mimétiques en aérosols et en intraveineux associée à du sulfate de magnésium. La ventilation artificielle est optimisée conformément aux recommandations dans ce contexte.
La radiographie de thorax au lit montre un parenchyme normal, une sonde d’intubation en place et une cardiomégalie pour le peu que l’on puisse en juger sur une radiographie au lit.
Le bronchospasme et l’hypoxémie s’améliorent rapidement, mais une acidose métabolique inexpliquée se développe. Ainsi deux heures après le début de la prise en charge, le gaz du sang est le suivant : pH 7,21 PaCO2 43 HCO3- 18 Na 138 K 3.1 Cl 108 lactate 750 mg/l (8 mmol/l). L’hémodynamique est alors stable. Sans aucun stigmate de chute du débit cardiaque.
Une angiotomodensitométrie des artères pulmonaires est rapidement réalisée écartant l’hypothèse une embolie pulmonaire. Il n’existe qu’une atéléctasie très modérée de la base droite.
Le patient est alors transféré aux Soins Intensifs Post-Opératoire (SIPO) où il bénéficia rapidement d’une échographie cardiaque retrouvant un VG de taille limite (DTD 60 mm, VTD 180 ml) sans HVG, une FEVG à 65 % sans troubles de la cinétique segmentaire. Des pressions de remplissage basses. Pas de signes de cœur droit ni d’HTAP et un péricarde sec.
Aux SIPO, M Maison présente alors trois problèmes concomitants :
1) Aggravation de l’acidose métabolique avec un pH à 7,21 PaCO2 à 36 HCO3- à 14.1 lactatémie 800 mg/l avec ionogramme superposable aux précédents
2) Collapsus tensionnel répondant très favorablement au remplissage avec discrets stigmates de souffrance cardiaque et rénale (troponine à 0,45 ng/l, urée à 0,4 mg/l et créatinémie à 15 mg/l)
3) Hyperglycémie majeure à 4 g/l sans cétonurie malgrés posologie importante d’insuline en intraveineux
La prise en charge a alors consisté en une discussion multidisciplinaire concluant à :
– une surveillance armée quant à la possibilité d’une reprise chirurgicale (pas de signe clinico-biologique compatible avec une complication abdominale, lipase normale, palpation normale, chirurgie simple)
– majoration des posologies d’insuline
– remplissage vasculaire par solution salée isotonique
– arrêt de la sédation par propofol et remifentanil
L’évolution de M Maison a été favorable, avec amélioration de l’acidose et retour rapide à une conscience normale permettant l’extubation sans complication dans la nuit. L’évolution de M Maison a alors été parfaitement simple permettant son retour dans le service.
Le lendemaine la biologie montre une amélioration de l’acidose :
pH 7,42, PaCO2 29 HCO3- 18 Na 141 K 3,5 Cl 115 albuminémie 35 g/l // Na(u) 42 mmol/l K(u) 32 mmol/l
Au total, M Maison a fait une crise d’asthme au réveil immédiat ayant pour facteur favorisant un asthme peu stabilisé et un tabagisme actif.
Cette détresse respiratoire s’est compliquée d’une acidose métabolique pour laquelle nous avons plusieurs hypothèses :
– acidose liée à une décompensation par le stress péri-opératoire et les corticoïdes d’un diabète sous-jacent. Cette acidose serait liée à la production de métabolites type beta-hydroxy-butyrate
– syndrome de perfusion du propofol a minima. Bien que M Maison ait reçu une sédation courte à des posologies adaptées (entre 2 et 3 mg/kg/h) et qu’il n’ait pas présenté les signes classiques (toxicité cardiaque, rhabdomyolyse marquée et modification de la couleur des urines) nous ne pouvons pas écarter cette hypothèse notamment du fait de l’amélioration rapide à l’arrêt de la sédation et des facteurs déclenchants que constituent l’hypoxie et les corticoïdes.
– Enfin, ces troubles ont pu être précipités par certains facteurs favorisant comme le jeune et la réalisation récente d’un régime avec potentielle diminution des apports en thiamine.
Pour la suite, nous préconisons :
– une vigilance périopératoire accrue quant au risque respiratoire
– une optimisation de la maladie asthmatique avec arrêt impératif du tabagisme
– un suivi métabolique rapproché devant la très forte probabilité d’intolérance au glucose voire de diabète
– un encadrement médical quant aux modalités de régime
– un examen cardiologique à moyen terme en gardant en mémoire l’intérêt d’une épreuve d’effort chez ce patient cumulant les facteurs de risques
En vous remerciant pour votre confiance, veuillez recevoir, Monsieur le Professeur et Cher Maitre, mes salutations les plus respectueuses.
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Je dis souvent avec les étudiants qu’il faut essayer d’être uniciste. Lorsque l’on écrit sur sa copie un truc tordu, c’est souvent que l’on est à côté de la plaque. J’ai un peu ce sentiment là maintenant tout de suite…
UPDATE : TOUTE LA BIOLOGIE AUX SIPO EST LA