Lors d’une garde récente, j’ai eu une discussion très intéressante avec mon collègue adoré G. La conversation portait sur l’utilisation de la noradrénaline diluée, les pour, les contres, etc. Mes commentaires a posteriori du billet original restent valables mais je tiens quand même à en reparler parce que je pense que le sujet est très important.
Depuis la publication fin 2017 du billet sur la noradrénaline diluée en anesthésie, j’en ai vraiment beaucoup fait. Avec un peu plus de recul, je peux vous apporter un peu plus d’éléments pratiques. je rappelle qu’en anesthésie-réanimation on parle souvent de « gammas » pour parler de microgrammes (µg)
Concernant les indications, je veux avoir une seringue de noradrénaline diluée dès que le patient me parait fragile avec une hémodynamique à risque de se débobiner rapidement à l’induction anesthésique. Avoir la noradrénaline diluée à portée de main n’est pas un antidote magique, il faut continuer de faire son travail de médecin anesthésiste/IADE ! Ainsi, le monitorage de la profondeur d’anesthésie me parait primordial pour titrer les drogues. Réfléchir au remplissage, à la curarisation et aux modalités de ventilation est impératif. Je précise que je travaille dans un bloc où la majorité des opérations sont courtes (ORL d’un service universitaire). Certes nous avons notre lot de longues opérations mais il ne s’agit pas de chirurgies très lourdes comme on pourrait l’entendre pour de la chirurgie vasculaire ou thoraco-viscérale.
Bref, j’utilise la noradrénline diluée majoritairement chez des patients qui arrivent stables mais pour lesquels je pressens que la vasoplégie induite par les drogues d’anesthésie puisse durer 1-4 heures tout au plus.
Concernant la posologie, l’utilisation d’un bolus (8 à 16 µg) doit être exceptionnelle (catastrophe hémodynamique imprévue genre 60/30 mmHg de pression artérielle chez un patient fragile). A l’heure actuelle, j’anticipe la dégradation hémodynamique en démarrant la seringue de noradrénaline diluée à 16 µg/ml dès le début de l’induction anesthésique. La pression artérielle se prend au brassard toutes les 2,5 minutes (quid éventuel intérêt supplémentaires de l’ischémie-reperfusion régulière ?) Je commence mon induction anesthésique avec une cible de remifentanil à 2 ng/ml de cible cérébrale et en parallèle je lance la noradrénaline diluée à 10 ml/h. Ceci à pour but de démarrer le micromoteur de la SAP qui a toujours un temps de latence comme l’a démontré l’équipe des pharmaciens du CHU de Lille avec leurs collègues anesthésistes (Dr Genay, Pr Decaudin, Pr Lebuffe). Le remifentanil est remonté d’un cran et je titre le propofol. Ensuite, selon l’évolution de la pression artérielle je suis assez simpliste, je pense que la vitesse de la SAP peut être 0 ml/h, 20 ou 40 ml/h. Quarante ml/h équivaut à 0,64 mg/h soit environ 0,15 µg/kg/min pour 70 kg. Et bien souvent on a besoin de 40 ml/h avec un BIS autour de 50. La stimulation chirurgicale permet parfois de redescendre autour de 20 ml/h soit 0,32 mg/h mais je trouve ça rare.
Concernant l’organisation au sein des blocs, c’est difficile mais il faut vraiment veiller à ce qu’il y ait une procédure claire de préparation et de stockage de la poche mère. Nous utilisons à cet effet, une poche de serum glucosé Luer-Lock qui ne peut pas être percutée pour perfusion. Cette poche est bien sûr étiquetée convenablement et ELLE RESTE au même endroit toute la journée. De plus cette poche est visuellement différente (marque différente) de nos autres solutés. Le plus difficile est la diffusion dans les équipes médicales. Au sein d’une même équipe anesthésique, les médecins peuvent être partagés quant à l’utilisation de la noradrénaline diluée. C’est parfois un casse-tête pour les infirmiers anesthésistes, je le reconnais. Mais comme pour tant d’autres choses (paramètres ventilations, habitudes d’antalgiques, de prévention des NVPO, etc.) il faut s’adapter. En tout cas j’aime l’idée de toujours pouvoir justifier chaque pratique que j’aie. Évidemment, il faut que les médecins restent prévenus du démarrage de la noradrénaline diluée et des posologies. Et je rappelle que le fait de contrer la vasodilatation induite par les drogues d’anesthésie ne reste qu’un point de la gestion hémodynamique ! Il faut garder en tête les interactions cardio-thoraciques, le transport en oxygène, les contraintes externes sur le retour veineux, etc. (un petit memo/check-list là)
Concernant le coût, une poche de serum glucosé avec 8 mg de noradrénaline coûte 1,1 euro chez nous. On fait largement la journée avec pour tous les patients (une douzaine). Pour administrer cette noradrénaline diluée, il faut 0,55 euros de seringue et prolongateur par patient. Grosso modo, j’arrive à un total TTC de 0,65 euros pour stabiliser la pression artérielle d’un patient avec la noradrénaline diluée. Une seringue d’éphédrine préremplie Aguettant coûte 3,7 euros. Si vous utilisez une seule seringue par patient le ratio de coût est x 5,7 avec l’éphédrine en seringue. Si vous utilisez deux seringues d’éphédrine le ratio de coût est x 11,4. Plus de dix fois plus cher !
Alors certes, on peut reprocher une concentration peut être aléatoire de la noradrénaline diluée vs un produit fabriqué par un laboratoire de qualité, mais la constatation pratique au bloc opératoire ne justifie pas le coût selon moi.
En 2016, nous avons consommé 1006 seringues d’éphédrine, soit 3722 euros pour 2921 interventions. Il y a donc probablement un tiers des patients qui recevaient de l’éphédrine (34,4%). Un coût moyenné de 1,27 euros par patient.
En 2018, nous avons consommé 245 combos ce qui fait 270 euros de noradrénaline diluée. En comptant les seringues et les lignes pour 1000 patients (estimation fourchette haute, la fourchette basse serait 500 patients) ça fait 820 euros. Nous avons également consommé 612 seringues d’éphédrine soit 2264 euros. Il y a eu 3119 interventions en 2018. Je trouve un coût moyenné des drogues vasoactives entre 0,90 et 0,99 euro par patient.
J’estime qu’en 2018 nous avons ainsi économisé 638 euros et je suppute que la stabilité hémodynamique des patients a été meilleure. 600 euros, ça peut paraitre un gain faible, mais sachant que les produits d’anesthésie sont peu onéreux, dans nos échelles c’est bien ! Ensuite, je pense que nous avons encore beaucoup de marge de diminution en anticipant mieux.
Un exemple, patient de 68 ans, diabète de type 2, coronaropathie, apnée du sommeil, tabagisme 70 PA qui vient pour une laryngectomie totale pour cancer. Le patient fait 95 kg et la chirurgie a duré 5 heures, c’est un peu plus long que d’habitude. (Le patient m’a donné son accord, famille présente, pour utiliser les données)
11 réponses sur « Noradrénaline diluée à 16 gammas/ml, le retour ! »
Tout pareil depuis un peu plus d’un an, on lance la NAD des l’induction sur la quasitotalité des anesthésies meme courte. On utilise aussi du coup moins l’éphédrine, et on est plus solide sur la prise en charge hémodynamique (compléter par monitorage EV1000 pour remplissage si chir longue)
Variantes régionales, ici on prépare de la 20 mcg/ml (2mg dans 100ml).
intéressant d’entendre que ça se développe avec d’autres façon de faire ! avez vous protocolé ? pourquoi avoir choisi 2 mg dans 100 ml ? vous avez des ampoules de 2mg ?
mais en en rediscutant avec des collègues que j’aime bien, y’a quand même un truc qui me fait lever un sourcil : pourquoi « la quasi-totalité des anesthésies mêmes courtes » ? vous devez quand même avoir votre lot d’ASA 1-2 où le challenge hémodynamique est moindre
Etant une petite équipe, on s’est protocolé à l’orale pour uniformiser la pratique. Le choix de la 20 s’est fait après l’utilisation de diverses concentration notamment de la 10 (vitesse trop haute, changement rapide de la seringue). On a des ampoules de 4ml/8mg. On prend 1 ml dans une poche de 100ml. Ca peut faire plusieurs patients selon la durée de la chirurgie et des besoins.
vous puisez donc avec une seringue à insuline votre millilitre de noradrénaline c’est ça ?
Avec une seringue de 2ml pour ma part. On est presque pas mal.
Merci pour le billet !
C’est vrai qu’en seringue électrique la stabilité de la pression artérielle est un régal. (Perso je continue d’utiliser les bolus (boli) mais chez patients annoncés fragiles je dégaine la seringue électrique d’emblée)
Concernant ton étude médicoéconomique, chapeau 😉 Et en plus, il y a probablement des coûts indirects.
Une autre bonne indication que je trouve très utile – pratique – est de l’utiliser quand on induit un patient en urgence, dans les étages ou même en réanimation (si celui-ci n’a pas encore de noradrénaline). Cette noradrénaline diluée assure rapidement un bon contrôle de la pression artérielle, et facilite le relais avec la noradrénaline plus concentrée.
Tout pareil, j’utilise largement…
Je met aussi en route un débit avant même de rentrer le patient dans la salle pour mettre en charge le piston du pousse seringue (ouai on disait comme ça à Bruxelles ^^) OU j’utilise la fonction « purge » de la machine pour purger la tubulure (au moins la fin de la tubulure) et avoir le même effet.
Pour moi la dilution entre « 10 et 20 gamma » finalement m’importe peu car concernant le patient, ce n’est pas un objectif de dose reçue ou de dose reçue/kg, mais bien un objectif hémodynamique avec un débit qui sera donc titré. Mettre 20,3 ml/h de NAD à 15,897 gamma ou 19,4ml/h de NAD 16,634 gamma … c’est pas un vrai débat… d’ailleurs on arrondit à 5 voir 10ml/h près ! L’important est que l’équipe soit à l’aise dans la préparation et l’utilisation.
Salut Christophe ! Bien sûr que l’objectif c’est l’hémodynamique.
Mais le diable se cache dans les détails et je trouve intéressant de discuter les détails de préparation car la préparation et le stockage ont pu être sources d’erreurs d’administration.
Ainsi, je trouve que les petites dilutions imposent souvent plus de manipulations. Aussi avec les solutions très faibles, les vitesses de SAP filent et sur un bloc de 4 heures ça fait du remplissage mal compté.
Et puis lorsque les vitesses sont très élevées, je pense que des gens font un montage avec un robinet sur leur SAP pour la remplir régulièrement et le risque d’avoir une « poche-mère » qui coule plein flot sur une 16G existe alors (ça s’est vu 🙁 )
En tout cas merci d’être passé, j’espère que tes commentaires viendront souvent émailler les billets de blog 🙂
Bonsoir,
Merci pour ce blog enthousiaste que je découvre ce soir et pour cette série de mises au point sur la « baby noradrénaline ».
Moi aussi je suis une adepte de la NA diluée depuis plusieurs années. Concernant la dilution, je fais du 10 mcg/ml (je mets 5 mg dans 500 ml de sérum phy). Je fais de l’intérim, je travaille donc dans de nombreux blocs, avec des gens qui ont des pratiques très hétérogènes, et sauf exception il n’y a pas de protocole de préparation de la NA faiblement diluée et encore moins de conditionnement dédié. C’est pourquoi j’ai opté pour cette dilution simple que je prépare en général moi même.
Un jour après avoir préparé ma poche de NA à 10 mcg j’ai été appelée dans une autre salle avant d’avoir eu le temps de remplir la seringue et de mettre en marche le pousse seringue. Quand je suis revenue quelques minutes plus tard, mon patient était passé de 80 à 150 de systolique. L’IADE avait juste branché la poche de 500 ml de NA directement sur la VVP ! Ceci me renforce dans l’idée de ne pas dépasser 10 gammas dans la poche de préparation. En cas de gag le patient a juste une « bonne tension » !
Dans la pratique, dans le cadre de la compensation des effets hémodynamiques induits par l’anesthésie, j’ai rarement besoin de dépasser 30 à 40 ml/H, au maximum 50 soit une seringue de 50 ml par heure. Je trouve que c’est acceptable même si l’intervention est longue.
Salut,
pour ma part c’est de la 100gamma/ml –> 4mg dans une seringue de 40ml. C’est facile de calculer les doses et pas de changement de seringue.
L’administration se fait sur une pieuvre (octopus) avec valve anti-retour. donc pas de risques de bolus.
Merci pour ton taff