Parfois la persévérance a du bon. C’est le cas quand à force de parcourir des articles et d’autres médias sur un même sujet je tombe enfin sur les réponses aux questions que je me posais au départ.
Revenons au sujet des oméga-3.
L’histoire a commencé dans les années 1970 avec les danois Dyerberg et Bang qui sont allés étudier les eskimos du nord-ouest du Groënland. Pas une mince affaire et je trouve ça vraiment admirable de partir plusieurs semaines loin de chez soi avec pas mal d’ingéniosité pour réaliser des dosages en conditions extrêmes. Ils ont tout d’abord observé un paradoxe (pour l’époque) : malgré une alimentation riche en graisses animales les eskimos ont un bilan lipidique plus favorable que des danois appariés pour le sexe et l’âge .
Ils ont continué de creuser le sujet et ils ont mis en lumière toute une physiopathologie autour d’une moindre agrégation plaquettaire avec des dérivés lipidiques (prostaglandines et thromboxanes) issus de l’EPA plutôt que de l’acide arachidonique (AA) . Voilà une élégante explication à la moindre mortalité d’origine cardio-vasculaire dans la population d’eskimos. Ça s’accélère en 1985 avec 3 articles sur le sujet des oméga-3 dans le NEJM. L’article des hollandais intitulé « The Inverse Relation Between Fish Consumption and 20-year Mortality From Coronary Heart Disease »
est le départ des données épidémiologiques reliant une consommation de poisson avec une moindre mortalité cardio-vasculaire. Les données épidémiologiques/observationnelles vont être le socle de la communication des tenants des oméga-3 pour prévenir les maladies cardio-vasculaires. Les deux autres articles du NEJM du 9 mai 1985 traitent de l’effet sur les triglycérides et sur l’inflammation des oméga-3. On trouve donc très tôt les principales « indications » des oméga-3
.
Les premières données cliniques vont venir d’Italie juste avant les années 2000, avec l’essai GISSI que l’on trouve encore fortement cité dans le plaidoyer pro oméga-3 alors que la prise en charge de l’infarctus a beaucoup changé depuis les années 1993-1995. Cet article a fait causer car on trouve encore un « erratum » publié 8 ans plus tard.
Les années 2000-2010 vont être une sorte d’âge d’or pour les oméga-3. Le test HS omega-3 index va éclore et être proposé comme facteur de risque cardio-vasculaire . C’est cet HS omega-3 index qui m’a plus particulièrement intrigué dans les dernières semaines.
Le vent tourne avec plusieurs essais négatifs de 2010 à 2020. L’un des plus gros étant l’essai VITAL . Cet essai est un essai de prévention primaire, en population générale après 50 ans chez les hommes et 55 ans chez les femmes. La supplémentation par 1g par jour d’huile de poisson n’a pas amélioré le pronostic dans cette population.
Très récemment, il reste un essai positif dans le domaine cardio-vasculaire avec les oméga-3, il s’agit de l’essai REDUCE-IT où de grosses doses d’EPA ont été données (4g) avec un comparateur critiqué (huile minérale). Il s’agissait d’une population à très haut risque cardio-vasculaire qui conservait une hypertriglycéridémie malgré un traitement optimal. Vous pouvez écouter le balado-critique (comprendre podcast) sur le sujet, l’analyse est très « froide » c’est bien fichu. Notez que dans le même type de population, l’essai STRENGTH était très attendu mais il a été arrêté prématurément pour futilité
. Pourtant, avant cette annonce, les tenants de l’HS omega-3 index le pressentait « also likely to be positive. »…
Update nov 2020, Strength finalement publié dans JAMA. Et quelques jours plus tard dans Circulation, échec de la supplémentation après IDM dans une population de plus de 70 ans.
J’ai bien écouté le crédo des professeurs Harris et von Schacky qui défendent l’HS omega-3 index qu’ils ont créé et le point faible des gros essais randomisés négatifs c’est qu’ils n’ont pas pris un HS omega-3 index bas comme critère d’inclusion. Il aurait été très intéressant de recruter des patients avec un taux bas et de voir si « une correction » de cet index améliorait le pronostic des patients. Et puis il y a tellement d’épidémiologie qui dit : « regardez les américains meurent du cœur et leur index est à 4% tandis qu’au Japon ils ont un index à 9% ».
C’est là qu’il faut creuser pour ne pas se contenter de l’insinuation et de la mise au même plan de données épidémiologiques et des essais contrôlés randomisés.
J’ai regardé le classement par pays de la mortalité cardio-vasculaire. Il se trouve que la France arrive après le Japon et la Corée. Il n’y a pas d’étude épidémiologique traitant à proprement parler de l’omega-3 index et du risque cardio-vasculaire chez les français mais on trouve des arguments indirects dans l’étude SU.VI.MAX. et dans la cohorte 3C (merci aux collègues qui ont pris le temps de répondre par mail à un obscur inconnu). Et surtout, une des clefs m’est venu d’une discussion par mail avec le Pr von Schacky qui s’est révélé très aimable : l’étude de Mme Sirot de l’AFSSA
. Cette étude de l’AFSSA se base sur la cohorte Calipso. Il s’agit de français vivants sur les côtes. Ils mangent régulièrement du poisson. Au moins deux fois par semaine. Cette étude est très pointue et je peine à tout comprendre mais il m’apparait que ces gens qui mangent beaucoup de poisson, dont du poisson gras, n’ont pas autant d’EPA et de DHA dans la membrane de leur globules rouges que des japonais. Et aussi, le pourcentage d’EPA et de DHA (proxy pour l’omega-3 index) ne varie pas de façon linéaire avec la consommation de poissons gras. C’est un peu comme s’il existait une forme de « régulation » du contenue en EPA et DHA de la membrane des globules rouges et j’en déduis donc qu’il y aurait peut-être une variabilité génétique quant à cette composition. Cette variabilité génétique me parait corroborée par une étude canadienne qui a calculé que les ethnies asiatiques étaient un facteur d’avoir un omega-3 index élevé. Notez aussi qu’il n’y a que 5% de cette population française qui a un omega-3 index > 8%. Premier accrochage avec mes espoirs d’une meilleure santé monitorée par l’omega-3 index. (Si j’entends French paradox dans un coin, je souris et reste coi)
Vient ensuite, l’étude du changement de l’omega-3 index au cours d’un essai randomisé. Ça n’existe pas à proprement parler mais une faible proportion de l’étude VITAL a bénéficié de ces dosages et on parle dans la correspondance autour de l’étude. Regardez par vous mêmes :
bien sûr vous pouvez me dire que les patients recevant les oméga-3 n’ont pas atteint plus de 8%, mais c’est peut être justement parce que c’est régulé ! Peut être que cet omega-3 index à plus de 8% est un facteur confondant pour une variante génétique qui confère une protection cardio-vasculaire. En tout cas, dans l’étude VITAL, monter l’omega-3 index à plus de 7,82% chez la moitié des gens avec une supplémentation n’a pas amélioré le critère primaire étudié.
En lisant le blog de la société OmegaQuant présidée par le Pr Harris, j’ai aussi trouvé cette information déroutante : l’index de base de la population de l’étude ASCEND serait plus élevé que d’habitude, avec notamment un index de base dans le bras « intervention » à 7%, difficile de monter encore plus cet index surtout quand on a observé dans plusieurs autres études une forme de plateau (d’où la faible proportion de gens au dessus de 8% hors population asiatique). J’ai cru aussi comprendre que des centaines de spécimens sanguins de l’étude VITAL attendaient un dosage de l’omega-3 index. J’attends avec impatience ce résultat.
Autre bizarrerie : les omega-3 index des athlètes sont régulièrement trouvé bas alors qu’il est clair que l’activité physique est protectrice sur le plan cardio-vasculaire .
Bref, je pense vous avoir montré que l’omega-3 index pouvait être bas dans des populations à faible risque cardio-vasculaire et que le seuil de 8% pour atteindre un nirvana cardio-vasculaire me parait bien illusoire dans une population caucasienne occidentale. Les oméga-3 correspondent parfaitement à la promesse d’une magic pill : origine naturelle, plausabilité biologique, logique simple. Malheureusement les études cliniques les plus sérieuses émoussent très fortement les espoirs. En tant que médecin, je ne pourrais pas recommander à un patient de prendre des suppléments d’oméga-3 pour améliorer sa santé. Je ne pourrais que rester sur les recommandations nutritionnelles de manger du poisson (gras) deux fois par semaine. Je ne pense pas non plus que doser l’omega-3 index puisse permettre de cibler la population qui tirerait plus de bénéfice puisqu’on voit qu’en France et en Italie où la mortalité cardio-vasculaire est basse par rapport à la moyenne mondiale l’index serait « moyen » et loin du graal de 8. Pourtant nous nous portons bien ici ! De plus dans les essais cliniques de grande envergure, l’augmentation de l’omega-3 index n’a pas foncièrement changé le pronostic des patients. Tout ça sans aborder le problème de la qualité des compléments alimentaires. Les études analysant leur composition sont souvent organisés par le lobby des oméga-3 (GOED) pour rassurer le marché. Ensuite, il existe des travaux de toxicologie et on trouve bien des agonistes AhR, du PCB et autres toxiques. Probablement comme dans les poissons me direz vous, c’est vrai. Ce à quoi je rétorquerais que dans le poisson il y a plein d’autres nutriments intéressants et le jeu en vaut donc plus la chandelle. Encore une fois, le complément alimentaire est un reflet de notre société de consommation. J’avoue tomber dans le piège. Je vous souhaite d’être plus rationnel que moi. Avec un complément alimentaire on achète quelque chose : de l’espoir, de la croyance, de la santé. On achète surtout un raccourci, une facilité, et ça serait bien un argument qui me convaincrait de m’en éloigner encore plus. #NoShortcuts
Pour finir en légèreté, voici ce que j’ai trouvé dans la base de données Clinical Trials :
Ça c’est le choc des cultures ! Des saucisses enrichies en oméga 3 ! Évidemment ça vient de Munich et du défenseur du concept du HS-omega-3 index https://t.co/k2PFngT3CB
— nfkb (@nfkb) May 8, 2020
5 réponses sur « une histoire autour des oméga-3, seconde partie »
Coucou !
Merci pour cet article. C’est très difficile de se faire une opinion quand on ne sait pas forcément lire les études scientifiques. Je te remercie donc de nous faire suivre ta pensée et ton analyse.
J’ai une question par rapport aux compléments. J’ai une alimentation végétalienne et je lis beaucoup qu’il faut se complémenter en DHA. Tu en penses quoi dans ce cas ?
Question difficile et de prime abord je n’ai pas de réponse tranchée. Vegans have to do their homework on these nutrition caveats/traps/burdens don’t know how to say it 🙂
Biochimiquement, l’apport d’ALA (oméga-3 d’origine végétale classique lin, colza, noix) peut se transformer un peu en EPA je crois mais pas avec un rendement terrible. Qu’est-ce que vous conseille les experts vegans ? Des suppléments à base d’algues ? C’est probablement « ok », probablement très onéreux aussi non ? Peut-être que le site consumerlab.com peut vous aider à trouver un complément d’EPA DHA vegan de qualité. xoxo
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5598028/
https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5705809/
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/16571158/
Merci pour les liens et les conseils 🙂 Je vais aller voir ça.
Je n’utilisais pas de complément pour les oméga-3 jusque-là. Et puis à force de lire partout le déséquilibre oméga-6/3 + DHA et non ALA, j’ai fini par regarder les compléments disponibles et j’en ai acheté un à base d’algues. Ce n’est pas donné, en effet ! Et mes questionnements reviennent. Difficile de trouver une vraie réponse… tout d’abord parce qu’il est difficile d’avoir un avis non biaisé (on est forcément biaisé quand on est dans la bulle « végane »…), et puis parce que la recherche est limitée.
Je suis surement naïf mais les bénéfices dus à l’ingestion de poisson ne seraient-ils pas plutôt liés au fait qu’en les mangeant, nous ne mangeons pas autres choses (viande…) plus néfastes pour le corps ?
il y a peut être un peu de ça, mais je crois quand même que les produits de la mer peuvent être un plus pour certains nutriments