Le ciel est bleu, la température est parfaite (12°). Nous sommes un magnifique samedi matin avril dans la métropole lilloise. J’arrive chez moi après un entraînement court mais très intense. J’ai fait du HIIT comme ils disent sur l’Internet. Ces sprints en côte sur la passerelle <CHTI>au dessus dl’a Deule</CHTI> ont ébaubi mon petit corps d’athlète fragile. Je regrette un peu de ne pas avoir le nouveau capteur Stryd, car il aurait été vraiment intéressant d’avoir des estimations de puissance sur cet exercice…
Clic. J’arrête ma montre. Je valide l’enregistrement de mon activité pour que mes données fassent vite leur voyage transcontinental via les ondes et les câbles pour s’afficher enfin sur l’écran de mon ordi qui attend fébrilement à quelques mètres de là.
Pas de nouvelles d’un fantastique progrès en matière de VO2max ou d’un quelconque record battu. J’ai l’habitude, cette absence de notification me laisse (presque) de marbre.
Je déploie l’écran de mon portable, clique sur mes raccourcis bien achalandés : Logbook-Training Peaks-Strava. Garmin Connect, cette mocheté infâme, n’a pas le droit de cité sur mon écran.
Je remplis mon logbook sur Google Sheets : date, activité, durée sont les basiques. Comme beaucoup, j’ajoute la paire de chaussure utilisée, aujourd’hui des Skechers GoRun 4 somme toute bien confortables (#cliquesurmonlienaffiliéamazon). Viennent ensuite les précieuses données physiologiques : fréquence cardiaque moyenne et répartition du temps passé dans mes zones d’entraînements. Pour les curieux, j’utilise un modèle à trois zones suite à mes lectures sur l’entraînement polarisé. Et enfin, j’ajoute un dernier paramètre, totalement subjectif mais lourdement pondéré dans le calcul de la charge d’entraînement : mon ressenti sur une échelle de 0 à 10. le RPE. Rate of Perceived Exertion ou échelle de Borg. (Pour l’historique, à l’origine c’était sur 20 et c’était sensé se caler +/- sur la fréquence cardiaque ; je ne sais pas du tout ce qui m’a décidé à travailler sur 10 points, comme quoi même les nerds perdent parfois le contrôle. Angoisse.)
Google Spreadsheet compute. Le Big Data est à portée de main, voici une nouvelle ligne dans mon tableau ! La 348ème !
<VITE>Automatiquement, j’obtiens des indices de charges d’entraînement, aiguë et chronique aka ATL & CTL, un ratio ATL/CTL, le ramp rate du CTL sur 7, 30 et 90 jours, le temps passé dans chaque zone de fréquence cardiaque cette semaine et cette année et les variations par rapports à la moyenne.</VITE>
Et je kiffe.
J’ai du plaisir à courir et j’ai du plaisir après la course. C’est pas beau ça ?
Des esprits étroits rejettent cette attitude. Qui n’a pas lu sur un forum que le “cardio c’est de la connerie, de mon temps on courrait aussi bien sans” ou autre ineptie du genre “je m’en fous de vos gadgets, moi je vais toujours à fond sur une course, je suis un bourrin”. Heureux les simples d’esprits…
Ces philistins ne comprennent pas l’intérêt de la planification d’une saison, de la recherche du gain physiologique et de l’intérêt de le souligner objectivement pour poursuivre cette quête d’un meilleur chrono. Ne parlons même pas de la gestion efficiente d’un tapering avant une grande compétition.
Voilà, ça c’est ma vie de coureur entre mes baskets, ma montre et mon écran.
Parfois, je prends mon masque d’humain et je discute avec des gens. C’est un peu douloureux au début de voir tant de gens dans l’erreur. Les pauvres, ils perdent leur temps en s’entraînant n’importe comment… Ils font au feeling. J’ai envie dire qu’ils ne font rien en fait.
D’autres fois, souvent après les triathlons, mes nerfs d’acier et mes mitochondries bioniques ont fondu et je me prends la réalité en pleine gueule : je suis dans le ventre mou du classement de la course et toute ma stratégie über complexe ne vaut rien face à la justice froide du chronomètre. La nature humaine trouve vite des excuses. La génétique ressort souvent dans ces conversations…
Mais alors quel incroyable gâchis si ces gens si naturellement balaises font si bien sans rien mesurer, quantifier et analyser. Ils pourraient faire tellement mieux en régulant leurs entraînements selon la variabilité de leur rythme cardiaque, en faisant un max d’endurance vraiment fondamentale, en faisant des récups plus rapides pendant leurs fractionnés ou que sais-je…
Après mon meilleur chrono sur marathon, j’étais boursouflé par ces convictions. Je vivais en plus un renforcement positif permanent car je multipliais les lectures sur les sciences du sport. Des fois, je pense que je passais plus de temps à disséquer mes patterns d’entraînement qu’à courir. Et puis, j’ai pris conscience que j’étais alors à une sorte de pic de forme. Finalement, j’aurais du mal à aller gratter les 3 heures sur marathon faire mieux en course à pied et pour m’aider à accepter ça, j’ai décidé de passer à autre chose. Mon attention s’est tournée vers de nouvelles pratiques sportives. Une bonne vieille pirouette cérébrale.
D’abord, j’ai continué avec mes habitudes de “cérébral” en choisissant des épreuves de course à pied plus longues où la logistique, l’organisation et la stratégie me semblent importantes. J’ai fait joué au max mes capacités à organiser les choses, j’ai eu du bol et un peu de courage et ça s’est bien passé.
Mais là où j’ai dû vraiment faire face c’est lorsque j’ai voulu apprendre à nager le crawl. Ouais, nous sortons du thème de la course à pied, mais restez, je pense que c’est intéressant.
Alors oui, j’ai tout de suite acheté un nouveau gadget qui comptait les longueurs, les coups de bras, etc. Je me suis ensuite procuré ce qui paraissait être le meilleur bouquin sur le sujet en français. Je n’avançais pas beaucoup. Je me noyais. Et le score SWOLF m’achevait de retour à la maison.
Et puis, j’ai cherché du coaching pour progresser. A l’aide ! Je fais de la merde, aidez moi les mecs ! L’esprit franchouillard n’est pas très porté sur l’analyse et l’expertise dans le sport. Les propos qui reviennent souvent c’est de pratiquer, pratique et encore pratiquer pour progresser mais ça ne me satisfaisait pas. L’angoissé que je suis sait qu’il peut mourir demain alors je me bouge le cul pour obtenir ce que je veux.
J’ai fini par trouver une méthode qui me plaisait. Je vous passe les détails mais ça a fonctionné. J’ai commencé à prendre du plaisir dans l’eau. Je pouvais revenir à la piscine sans tirer la gueule.
J’ai enchaîné les éducatifs. Les longueurs. Mon aisance s’est améliorée. Puis je me suis retrouvé sur un nouveau palier. Encore une fois le chrono qui me barrait la route : “c’est bien bizuth, tu te sens mieux, mais moi je mesure toujours le même temps de merde aux 100 m !” Grmblmblml.
Rebelote. Mon gyrus analyticus se met en branle. Je trouve un mec qui fait de l’analyse vidéo. Le site web est léché, il vend bien son affaire. J’y vais. Je fais une belle rencontre. Le gars assez simple et efficace dans son coaching, ça parait contradictoire avec moi, mais ça marche.
Je bosse ce qu’il m’a dit (trois trucs à répéter à chaque entraînement) et je reviens le voir 3 mois plus tard pour les ajustements.
<serge le mytho>J’arrive avec plein de questions, de temps de références, etc. Il me regarde nager. Me filme. Il me dit : “c’est parfait, on ne change rien.” Gneu ? je suis surpris. Il refilme, me montre, et travaille à me convaincre. Dans la conversation, il me demande si j’ai trouvé un coach pour préparer les épreuves de triathlon que j’ai programmé. Je lui explique que c’est compliqué car j’intellectualise beaucoup et que j’ai du mal à suivre placidement un programme externe. J’aimerais trouver un gourou avec qui être sur la même longueur d’onde mais ça n’est pas simple. (En plus, je venais d’écumer le web des sites de coaching en ligne, et dans l’univers du triathlon les prix sont prohibitifs.)
S’en suit une conversation marquante sur les sciences du sport et la réalité de l’entraînement. Coaching vs sport science. Un marronnier du web sportif anglo-saxon. Le propos s’infiltre en moi, je suis comme un disciple qui attendait son maître, l’efficacité de son coaching m’a convaincu… pour progresser il y a 4 étapes, je vous livre la parole du maître : do it, enjoy it, get fit at it and then add the technique. Ca me parle. Le deuxième truc est un argument d’autorité : l’un des plus grand (le plus grand ?) coach de triathlon, Brett Sutton, n’utilise pas (ou si peu) les outils “modernes” ou les apports des sciences du sport. Pour lui il n’y a que l’expérience qui compte. Il se sert de son expérience et du vécu des meilleurs athlètes mondiaux. Mon coach de nat’ achève en me proposant d’écouter un podcast en anglais sur le sujet (Joel Filliol, Real Coaching Podcast) et au fil des épisodes je comprends encore mieux la problématique. Ces mecs sont des experts de l’entraînement. Ils entraînent les meilleurs mondiaux ET connaissent aussi toutes les publications récentes et les modes en sciences du sport. Finalement, mon cerveau fait tout seul le parallèle avec ma pratique professionnelle et j’ai l’impression de vivre un hourra-moment : il faut faire des choses simples. C’est moins glamour que ce qui est fantasmé, markété et amplifié sur le web mais c’est cette réalité qui compte.
Je suis secoué, c’est difficile de changer de paradigme. Je suis un peu comme un psychanalyste qui découvre que le cerveau est un organe du corps (#privatejoke)
Au final, je crois que je ne suis pas prêt d’arrêter de remplir des colonnes de chiffres parce que j’aime ça mais j’ai compris que le sport de haut niveau était encore un art plus qu’une science. Pour ma pomme, pour mes courses, de toute façon c’est foutu, je suis pas né avec les bons gènes.
Cet article a été l’objet d’une chronique dans le pilote du podcast Jogging Bonito.
12 réponses sur « Data Waterboarding »
J’aime bien ta note. Est ce que tu es étonné ? Il est évident que le talent sur de l’humain fera encore longtemps mieux que le big data. Juste car le mec expérimenté va voir au delà des chiffres et intégrer plein d’autres choses, ca s’appelle l’expérience, comme en médecine.
Les outils du quantified self seront probablement interessant quand on acceptera de les valider comme on peut le faire en clinique avec des études bien foutues avec un vrai référentiel.
Avec cette rencontre à Londres, j’ai vraiment rencontré un type qui m’a fait voir les choses autrement en deux trois phrases bien placées.
Et au final, je pense qu’on n’est pas obligé de se mettre 100% d’un côté ou de l’autre de cette philosophie. En tout cas, j’essaye cette voie réconciliatrice.
On apprend décidément beaucoup de chose dans l’eau… 🙂
….. tant que tout ça ne te fais pas oublier les étirements !
:- )
amitiés toujours
Didier
test de notification
ben voilà mec !
ça n’a pas marché
j refais une tentative !
encore raté…
je me retrouve énormément dans ce billet. (sauf pour le lien affilié tu t’es loupé il n’est pas clicable)
Le coup du coaching par exemple. Je pense que ça me ferait gagner un temps fou. Plus de prise de tête sur le planning, l’enchainement des séances. Mais je ne crois pas en être capable. Et ça fait partie du plaisir !
En plus je crois aussi beaucoup que, quitte à avoir un coach, s’il te voit pas (courir uniquement dans mon cas), et que tu passes par un écran / clavier pour donner ton ressenti / borg, tu loupes un truc.
Par contre je suis étonné par ça :
« ET connaissent aussi toutes les publications récentes et les modes en sciences du sport »
Je pensais les coachs moins « ouverts ». Mais il y a surement de tout aussi.
Salut Julien,
j’ai corrigé le lien affilié !
Je crois que le coaching est *vraiment* efficace. La difficulté consiste à éteindre son cerveau pendant un laps de temps. Et le plaisir de faire son propre planning je suis d’accord mais quand c’est moi qui le construit je ne le tiens jamais correctement.
Par contre, je te suis à fond sur le contact visuel. C’est pour ça que je me suis déplacé jusque chez Julian Nagi pour la natation où c’est encore plus sensible qu’en CAP. Si j’habitais par là, c’est clair que je le prendrais comme coach.
Il y a des coaches par Internet qui font plus attention au ressenti que d’autres, mon expérience avec Stéphane Palazzetti était intéressante pour ça.
Quant à Joel Filliol, le podcast est mal réalisé (bon l’hopital, la charité, toussa…) mais tu sens que ces gens *connaissent* le sport, surtout le sport de haut-niveau (je doute plus qu’avant de l’extrapolation des pratiques du haut niveau pour nous) et qu’ils ont à coeur de tailler dans le lard sans mâcher leurs mots. Bref, ils sont crédibles. Globalement, pour la discussion, je rencontre plus de coaches anglo-saxons qui connaissent les sciences du sport que des franchouillards.
Merci pour ton commentaire, tes oreilles ont-elles eu le courage d’écouter notre pilote ?
oui j’ai écouté le pilote et j’ai bien aimé.
je partage beaucoup votre avis sur Anne dub. Elle fait un truc, s’investi. c’est du boulot et ça se respecte un minimum et il faut accepter de ne pas être dans le cible de son business 😉
Il faudrait améliorer l’environnement (un peu de bruit de fond) et Emile lit trop son texte. Et peut-être faire plus court ?
[…] de Julian Nagi, j’ai clairement transformé ma nage, mon entraînement et une partie de ma vision de l’entraînement d’ailleurs. Cela m’a été très bénéfique pour aborder la première […]