Mercredi matin. Salle de repos. Mes collègues gaziers sont survoltés par l’arrivée d’un distributeur de café Starbucks à l’hôpital. Moi, ça me laisse pantois et je glisse dans mes pensées…
Le CHRU de #Lille modernise son offre hôtelière. Découvrez dès maintenant l'espace #Starbucks. A suivre… pic.twitter.com/wiY8fD1Hco
— CHU de Lille (@CHU_Lille) September 18, 2015
Starbucks. Pour moi, c’est la cristallisation sucrée de notre société complexe. J’imagine que perdu à l’étranger ce genre d’endroit est rassurant. Le jeune voyageur chanceux retrouve un environnement familier et confortable qui lui sied. Il peut profiter de son smartphone (ersatz égotique masturbatoire anxiolytique <- oui ça ne veut rien dire) grâce au Wifi gratuit. Notre consommateur de café existe alors grâce aux Likes glanés à coup de photos de muffins sur les réseaux sociaux. Le regard des autres est capté grâce à des mèmes qui permettent de recréer une communauté. Le territoire de notre ami fait approximativement 0,01 m².
J’ai le sentiment que cette échelle rabougrie nous fait du mal. Nous avons besoin d’espace, nous avons besoin d’air, nous avons besoin de voir plus loi qu’à un mètre. Attention, je ne souhaite pas que mon billet devienne une note agressive contre la technologie. Je l’aime la technologie. Mais, tout comme je pense que le confort et la routine du quotidien n’excluent pas la conscience des risques et de l’aléatoire (et je glisse doucement vers le hors-sujet), je pense que nous avons besoin de maîtriser un territoire géographique.
Le corps est notre petit territoire. Nous pouvons essayer de le nier, il se rappellera à nous. J’aime le sport, car il me permet d’explorer à la fois mon microcosme et mon macrocosme. C’est vraiment un truc qui me plait dans la course à pied, la natation en eau libre ou le cyclisme, c’est la quête de nouveaux points de vue. En parcourant un terrain, on l’amadoue ou on se laisse amadouer (choisissez votre camp) et finalement, on comprend mieux où l’on est. On regarde la carte, on cerne les creux, les bosses, les étendues d’eau et les noms de lieux éveillent souvent la curiosité. La toponymie nous en dit long sur notre histoire et concentre en quelques lettres tous les mélanges dont nous sommes issus.
J’ai bien aimé l’analyse d’Axel Kahn dans son livre Pensées en chemin des territoires en souffrance. L’industrie morte, l’agriculture démesurée et l’administration (lointaine) omnipotente ont dépossédé les hommes de leur territoire. Sans un optimisme fort, il est difficile de construire une nouvelle économie qui permettent des échanges afin de connaître et de faire reconnaître son utilité dans le cercle humain qui nous entoure. Dans les grandes échelles, les hommes ne se reconnaissent plus, ils ne se regardent plus, les autres ne sont plus que des objets. On est alors entouré de personne, il n’y a plus de regards pour se sentir vivant et l’angoisse existentielle flambe.
En Médecine aussi, je perçois l’importance du regard et du territoire. Au plus j’avance, au plus j’ai l’impression de comprendre l’importance du regard clinique et du regard empathique qui donnent du sens à mes soins. J’ai l’impression de n’être pertinent que lorsque je suis à côté du patient. Je ne sais pas optimiser, rationaliser ou planifier à grande échelle. Je suis désolé pour l’administration, mais je n’y arrive pas et mon expérience de travail dans de grosses équipes ne m’a que moyennement enthousiasmé…
En guise de conclusion, je vous invite à prendre une carte et d’entourer avec votre doigt la surface que vous avez explorée autour de chez vous uniquement grâce à la mécanique unique de votre corps. Ça fait réfléchir.
Ce billet est le cinq centième de ce blog.
6 réponses sur « Le regard et le territoire »
Ce qui me dérange, c’est l’intrusion mercantile de cette marque dans la structure hospitalière. Je sais qu’il y a déjà les « relais-presse » et autres boutiques mais bon sang, nous ne sommes pas dans un supermarché avec galerie marchande ! La santé n’est pas un produit de consommation plus ou moins courante et l’hôpital un lieu marchand.
Cela me parait aussi incongru et inapproprié qu’un « kit enseignant » émanant d’une entreprise commerciale (genre un vendeur de dentifrice pour une fiche de protection bucco-dentaire).
D’une certaine manière vous résistez, vous créez, vous vous indignez. Puisque vous aimez les livres, je vous propose « Résister, c’est créer » de F.Aubenas et M. Benasyag ISBN 978-2-7071-5609-9.
C’est has been une carte papier pour dessiner son territoire 🙂
http://www.jonathanokeeffe.com/strava/map.php
Hello !
J’ai découvert ton blog récemment. J’adhère à ta philosophie.
Ce poste en particulier dans lequel je me retrouve. J’aime bien l’idée du microcosme et macrocosme (même si dans les faits c’est très tourné sur soi même).
Je pratique le triathlon pour découvrir des nouveaux terrains. Mais je choisi les plus beaux. En tout cas j’essaie.
Merci Julien pour la trouvaille. Ça m’a permis de voir que j’avais exploré pas mal d’endroit en France cette année (j’ai de la chance).
merci 🙂
Je suis super jaloux. Je VEUX un starbuck dans mon hosto!
tu peux le suggérer à ta direction, ça a fait de la pub +++