« – Dis, tu ne viendrais pas au vélodrome avec moi ? me glisse Didier
– euh… en fait j’ai piscine… mais pourquoi pas… euh… ben d’accord. » Et voilà. C’est aussi simple que ça au final cette histoire.
J’enfourche mon Ridley, je file au rendez-vous. Sur la route, les mythiques pavés de Paris-Roubaix. « T’imagines Tom Boonen à 50 là ? » puis le vélodrome est là. Un peu caché.
Je pénètre les portes du STAB avec ma gueule de bizuth et une petite appréhension au creux de l’épigastre. A l’accueil, je demande s’il est possible d’enchaîner avec la séance suivant l’initiation dans l’espoir de rouler entre copains. « Le taux d’échec est élevé, attendez votre initiation ». Vlan. Le bizuth est un bizuth. Point barre.
On rentre sur le vélodrome comme on rentre dans l’arène. Je sors du confinement des vestiaires souterrains pour découvrir un lieu de toute beauté, calme, lumineux. Je suis impressionné.
Hop un vélo, clic-clac selle à 75. Faut pédaler ?! d’accord je pédalerai ! Le cyclisme réduit à son essence : deux roues, un guidon, une selle et un pédalier. Vélo noir. Sobre, rigide. On n’est pas là pour mollir.
Là, j’en suis au point où j’ai juste peur du pignon fixe, terra incognita. J’ai peur de la chute, du soleil et je me répète en boucle « le pédalage est obligatoire, le pédalage est obligatoire, le pédalage est obligatoire ». Engager les pédales est la première épreuve. Je me tiens à la rembarde comme lors de ma première sortie à la patinoire. Notre groupe de débutants est invité à faire nos premiers tours de piste au calme le long de la côte d’azur.
Je ne fais pas le malin. Il faut gérer l’espacement avec les autres impétrants. Je ne sais pas comment doubler, pas de freins et « le pédalage-est-obligatoire-le-pédalage-est… » Mon niveau de vigilance monte d’un cran. Et au bout de seulement quelques tours de pédales, je comprends. Le véritable objet de l’initiation est là : le Virage. 44,3° d’inclinaison. La piste de pin de Sibérie lustrée, lisse et brillante écarte vite les insouciants…
Immédiatement, mon taux plasmatique d’adrénaline, double, triple ou cube, je ne sais pas, mais ça monte sec ! Ca accélère. Le vent relatif souffle dans mes oreilles. Il fait frais. (Mon cerveau parachutiste aime) La vitesse augmente encore. La piste m’aspire. Il faut monter au delà de la ligne bleue. J’appuie. Ca tourne, ça tourne vite ! le virage est là, j’hyperventile comme un gosse plongé dans l’eau trop froide de la piscine municipale. Ca passe. Ventilation minute estimée : 30 litres 😉 Je suis catapulté dans l’autre ligne droite. Et je ne m’arrête plus.
Le vent siffle, je me colle le long de la ligne bleue. C’est ma ligne de vie. Je reste là ou je dégringole. Je regarde devant et j’appuie sur les pédales. L’impression de vitesse est grisante, et comme vous le diront tous les bons pilotes (d’avion) : « la vitesse c’est la vie ». On me dépasse à droite. Nouveau frisson : j’aperçois furtivement 85 kg de muscles et de métal suspendus au dessus de moi. Je garde mon cap. Je regarde loin devant.
Plein gaz, je perçois bien que mon autonomie dégringole. Même avec l’appui du virage qui me relance toute les 12 secondes je ne vais pas tenir longtemps. Il faut que je m’extirpe du manège avant que je ne perde toute lucidité.
Appontage réussi à la balustrade. Je reprends mon souffle et je signe pour la séance suivante. La pause fait partie de la musique n’est-ce pas ?
Retour en piste avec Didier. Je me cale dans sa roue (comme d’habitude) et on tourne paisiblement. Je découvre une autre piste. Après le stress de la nouveauté, je me laisse envoûter par le vélodrome. Désormais, tout n’est que luxe, calme et volupté (j’ai cherché une meilleure expression, je n’ai pas trouvé ;)) La régularité de nos tours m’hypnotise. L’esprit se calme. Mon éréthisme est déjà loin derrière moi.
Les tours s’enchaînent. En rythme. La musique de la mécanique me dévoile son ambivalence : tantôt mantra, tantôt signal du costaud qui va doubler à droite. Nous tournons, nous ne faisons que ça et nous sommes bien.
Une nouvelle pause (décidément c’est important les pauses en vélo) et Didier me propose de partir à l’assaut du sommet de la piste. Exercice de concentration et de musculation. La tête et les jambes. je découvre la ligne noire, les pointillés… la magie de la piste opère. Je suis séduit. Retour sur la ligne bleue : faut pas oublier son statut de bizuth quand même 😉
4 réponses sur « La ligne bleue »
Je suis Didier et j’approuve ce message….. sans frémir notre Rémi a roulé comme un chef dès sa première séance au Stab…. c’est pas donné à tout le monde de monter aux balustrades à sept mètres de la côte d’azur !
Chapeau l’artiste! Ça donne envie!!
Merci pour ce beau billet qui donne envie !
Bravo Rémi! 🙂
Sérieux, si j’avais connu la piste plus jeune, je crois que j’y aurais passé des années. J’y retrouve cela de commun avec les arts martiaux : on se place, on glisse, on enchaîne. Pas d’à coup, de la puissance libérée, du bonheur. Merci de ton partage!