Je viens de lire « Les nouveaux paradoxes de la médecine » de Luc Perino. Luc Perino est médecin généraliste. J’ai découvert ses écrits via son blog sur la plateforme du Monde. J’aime bien ses notes concises orientées santé publique. Mathieu Vidard a récemment reçu Luc Perino dans La Tête au Carré et ça m’a donné envie d’en lire plus. Je n’ai pas été déçu.
Le livre se décompose en cinq grandes parties.
La première offre une page d’histoire avec les avancées en hygiène et en microbiologie du XIXème siècle. La révolution pastorienne a construit le concept de l’ennemi à combattre. La médecine a désormais une cible bien définie. Mais cette vision atteint rapidement ses limites avec les pathologies dégénératives et les problèmes médicaux occidentaux où l’ennemi semble désormais venir de l’intérieur.
Ensuite on aborde la problématique de l’EBM. J’ai beaucoup aimé les rappels de base sur les bénéfices d’un traitement. Ainsi si un traitement apporte 10 % de bénéfice à un groupe dans une étude. Ca veut juste dire que 10 % des patients tirent un bénéfice. On fait trop facilement un glissement mental sur un bénéfice individuel de 10 % pour tous…
Il y a donc de nombreuses difficultés pour prendre en compte les conclusions de l’EBM pour un patient. Paradoxe de la médecine scientifique qui étudie des populations pour soigner un individu.
Ensuite, Luc Perino discute certaines thérapeutiques médicales et nous fait réfléchir sur la notion de bénéfice pour les patients et de coût pour la société. L’affectif brouille souvent notre réflexion dans ce domaine. Il va pourtant vraiment falloir faire des choix un jour. Il va falloir décider ou non de proposer ou non certaines thérapeutiques « peu rentables ». La société n’est pas prête.
Luc Perino pense que la solution peut venir des pouvoirs publics. Il faut délocaliser l’action médicale du cabinet du praticien à une vision plus globale. Un plaidoyer de réhabilitation pour les questions de Santé Publique en somme.
En conclusion, ce livre a clarifié pour moi certaines problématiques actuelles (dépistage des cancers par exemple) et sa lecture agréable m’a fait passer un bon moment. J’en conseille grandement la lecture à tous ceux qui veulent essayer de comprendre la médecine à grande échelle.
5 réponses sur « Les nouveaux paradoxes de la médecine de Luc Perino »
C’est vrai que ça à l’air intéressant… Un livre de plus à lire !
Bon : lien d’intérêt : chaque fois (ou presque) que je lis un article de Luc Perino, je ne suis pas d’accord ou très surpris qu’il soit à côté de la plaque. Je n’ai donc pas envie de lire son livre…
Quant à ce commentaire sur l’EBM… Combien de fois faudra-t-il re préciser que l’EBM, ce ne sont pas les essais contrôlés mais un questionnement à trois entre les essais contrôlés, l’expérience clinique du praticien et les valeurs et préférences des patients ?
Le problème, c’est le calcul bayésien et son caractère contre intuitif pour les malades… et les médecins.
Je crois l’inverse de Luc Perino : les big data n’ont pas d’intérêt et la solution viendra du questionnement individuel dans chaque cabinet avec des médecins informés et formés. L’Etat est sous la coupe du lobby politico-académico-industriel et les experts montrent tous les jours leur duplicité et leur incompétence : grippe, cancer du sein, glitazones, alzheimer. Non à l’Etat. Non à la Santé Publique politique.
Et vive l’EMB, la vraie.
Salut docdu16 !
je me doutais un peu que mon allégeance littéraire attirerait une petite remarque, tant mieux.
D’abord le livre est bien plus vaste qu’une analyse critique de la littérature scientifique. Dans la note je vous ai proposé un raccourci. Luc Perino montre les limites et les biais de la littérature actuelle en gravant dans le marbre le voeu pieux que la rigueur augmente et que la compréhension des résultats se répande mieux parmi les patients et les médecins. (et oui vous soulignez bien que c’est le théorème de Bayes qui coince)
Ce que vous décrivez sur l’EBM, j’avais personnellement l’impression que c’était la Médecine tout court. Après il faut bien reconnaître que la sanctification de littérature est agaçante. Combien de fois les internes (ou les sociétés savantes) nous agitent des articles sous le nez genre « hey faudrait faire ça, c’est écrit ! » ? La littérature a ainsi un côté vertical un peu agaçant, encore plus quand on comprend mieux ses limites. En anesthésie les errements sur l’utilisation des béta-bloquants sont complètement ahurissants.
Enfin je suis complètement pour une plus grande implications des patients mais j’ai le sentiment que l’on est qu’aux balbutiements… la génération des trentes glorieuses (mes parents quoi) me semblent s’incliner devant l’ordonnance sans discussion. Les médecins peuvent aussi expliquer aux patients qu’ils ont le choix mais ça me semble aussi marginal aujourd’hui.
Enfin pour le débat final Luc Perino explique bien que ce qui a sauvé le plus de vie quantitativement ce sont des mesures collectives comme la vaccination. Pour lui la Médecine actuelle se perd sur des chemins tortueux (en oncologie notamment) pour proposer des choses sans globalement améliorer le bénéfice pour les patients. Des mesures collectives engendrant une baisse du tabagisme ou une amélioration des connaissances sanitaires par exemple auraient plus d’impact sur la Santé. Le volet social est également majeur. Le médecin peut aider, orienter mais ce n’est pas son job de trouver un toit et un emploi à son patient. Ca peut le démanger mais il faut bien avouer que ça relève quand même plus des pouvoirs publics non ? Donc d’après ce que j’ai compris dans le bouquin, c’est à travers des mesures (médico-)sociales que l’Etat peut jouer un grand rôle. Nulle part je n’ai lu qu’il fallait plus de guidelines ou de verrous étatiques sur la pratique médicale.
Pour moi l’expression « big data » connote l’exploitation des données numériques générées à droite à gauche, les rassembler pour les analyser. Ca ne cause pas de ça dans ce livre.
En conclusion, il y a un juste milieu à trouver entre une médecine plus qualitative, individualisée. Probablement grâce à une meilleure formation médicale et des recommandations se basant aussi sur nos ressources financières (pour éviter de tomber dans des pièges couteux et inutiles genre satanines 4 all !) et il faut trouver des solutions collectives pour des problèmes comme le tabagisme (énorme scandale pour moi) ou le paludisme.
Juste un mot.
Croire que les vaccins ont fait baisser la mortalité est une erreur. La diminution colossale de la mortalité infantile s’est produite bien avant l’apparition de la vaccination (et je n’y suis pas opposé). C’est le passage de l’ère pré à post pasteurienne qui en est la marque. Le tout à l’égout et l’eau potable en Afrique font plus que les vaccins mais la fondation Melinda et Bill Gates (GAVI) n’en a cure. Voir un article de ASK : http://sylvainfevre.blogspot.fr/2013/11/toubib-or-not-toubib.html et, sur la vaccination contre l’hépatite B et la non vaccination contre l’hépatite C un article que j’ai publié : http://docteurdu16.blogspot.fr/2010/11/hepatites-b-et-c-grace-la-vaccination.html
N’oublions pas que 50 % des enfants mouraient en France avant l’âge de 7 ans à la fin du 19° siècle.
Bonne journée.
ok mais la polio ? la diphtérie ? le tetanos ?
Pour l’hépatite B vs C il y aussi une comparaison dans le bouquin avec une opinion intéressante qui montre bien qu’il ne faut pas de totalitarisme en matière de santé publique. L’auteur semble pour une médecine réfléchie à plus grnde échelle mais pas d’injonctions. Il explique bien que c’est le caractère obligatoire de certaines mesures (ex hépatite B) qui a attisé la véhémence des anti-vaccins
le tout à l’égout et l’eau potable, voilà des mesures sociétales qui ont changé les choses. Je suis bien d’accord. Et c’est sur ce type d’amélioration sociétale que j’ai l’impression qu’est consacré le dernier chapitre du livre.
Quant à Bill Gates, je suis déçu, je pensais qu’il misait tout sur le caca http://designtoimprovelife.dk/billgatesbiofuelwaste/