L’anesthésie demande un état d’esprit particulier*. John Snow écrit de très bons billets là dessus comme ici et là et je l’ai déjà écrit dans ce billet.**
Cette semaine j’ai gagné ma vidange de surrénales en règle grâce à Mme Grey.
Mme Grey, je l’avais justement vue en consultation la semaine dernière et j’avais à peu près compris son histoire. Elle est venue en consultation d’ORL parce que sa voix enrouée ça traînait un peu trop quand même. Le gentil chef de clinique d’ORL a fait la fibroscopie montrant un petit polype sur une corde vocale : un petit coup de laser et on n’en parlera plus (sic). Pendant la consultation d’anesthésie on a surtout causé du tabac. En fait Mme Grey a un époux qui multiplie les problèmes médicaux, évidemment ça la tracasse, il faut qu’elle s’occupe de tout, évidemment le sevrage tabagique c’est pas d’actualité finalement. Et voilà que je retrouve Mme Grey au bloc opératoire. Le teint crayeux gris des bons tabagiques, un stress inévitable et toujours cette foutue boule dans la gorge qui rend sa respiration si laborieuse. Bien bien bien.
Tout est prêt as usual. C’est quand même un peu la spécialité de la maison et on se lance joyeusement. Le challenge anesthésique de ce type d’intervention est double : l’hypnose (comprenez la profondeur d’anesthésie) et la gestion des voies aériennes.
Concernant l’hypnose c’est pas compliqué sur le papier mais en pratique c’est parfois un peu aventureux : il faut faire dormir très fort le patient mais pas longtemps. Alors faire dormir très fort c’est vraiment facile. Réveiller vite avec les produits modernes ça aussi ça parait accessible. Le tout c’est de trouver le bon cocktail pour ne pas mettre Mme Grey avec ses artères en calcaire à deux de tension.
Quant aux voies aériennes, pour ces patients c’est comme avec les boîtes de Quality Street : on ne sait pas sur quoi on va tomber et y’a peu de chance pour que ça soit bon. Voilà le décor est planté .
Maintenant je vais essayer de me mettre en mode @DocAdrenaline pour dynamiser un peu ce billet :-p Induction sur la pointe des pieds, et vlan désaturation brutale. Mme Grey passe au gris clair. L’infirmière anesthésiste veut l’intuber. Je me tourne vers les seringues pour approfondir l’anesthésie, saloperie de seringue électrique qui ne réagit pas assez vite. Je tourne la tête a gauche vers ma Mme Grey qui passe au gris foncé. Échec d’intubation. Bran-le-bas de combat, Code Rouge, mode Ninja On. Je fais dégager la table de chirurgie, appeler a l’aide et préparer de l’adrénaline. Je saute à la tête de la patiente et j’essaye d’envoyer de l’oxygène dans ses poumons (et surtout son cerveau) de toutes mes forces. Ben ça marche pas. Mme Grey est noire. Le
saturomètre a la gentillesse de ne même plus faire son bruit sourd et grave de quand-ça-va-pas. Il ne mesure plus rien le pauvre vieux. On pense intercrico, on pense trachéo. Les renforts permettent d’améliorer la situation, on va ptêt remonter la pente… Le relâchement musculaire est optimisé (propofol), ma collègue m’aide à ballonner et inonde la salle de phéromones d’alerte grave. Je reprends le laryngoscope en priant pour que la couleur de Mme Grey ne tourne pas au blanc cireux. L’ORL me passe dans la main une canule d’aspiration rigide qui me permet de déplacer le polype qui bouchait complètement la glotte et la sonde d’intubation file dans la trachée. Mme Grey repasse vite au gris puis et à son teint crayeux habituel. Ouf.
* il faut aimer faire de la rando pépère tout en étant prêt à passer en mode Bear Grylls en un éclair
** admirez la mise en bouche à la sauce @docdu16 😉
3 réponses sur « Cannot ventilate »
Premièrement : Waaaaaaaaah.
Deuxièmement : Merci !!!!! ( 2a : Pour le billet ; 2b : Pour l’allusion flatteuse).
Troisièmement : [Mode Caliméro : ON] Non mais c’est vraiment trop injuste ! Tu fais ça vachement mieux que moi, de raconter la tension ! Alors que moi, quand j’essaie d’expliquer quelque chose sérieusement comme toi, …. ben en fait j’essaie pas, tellement je sais pas faire. [Mode Caliméro : OFF]
Quatrièmement : Encore waaaaaaaah.
Ca te réussit bien l’exercice de style qui consiste à écrire à la manière de.
J’aime bien.
[…] L’anesthésie démarre lorsque le chirurgien est dans le bloc (cf cette anecdote de polype laryngé) […]