Les diurétiques font partie des médicaments que je trouve les plus difficiles à prescrire dans un secteur de réanimation ou de soins intensifs. Ceci est tout simplement lié au fait que la volémie d’un patient fait probablement partie des paramètres les plus difficiles à évaluer. La clinique couplée aux examens complémentaires devraient nous aider mais j’ai l’impression que c’est plutôt l’histoire du patient qui est le plus décisionnel dans ma prescription.
Il existe des situations caricaturales d’hypovolémie qui amène le patient dans les secteurs de soins aigus, le schéma thérapeutique est simple. De même, lorsque l’insuffisance cardiaque prédomine le tableau, il faut savoir soulager la calèche avant de fouetter ! Cette arrière pensée de l’hypovolémie devient plus difficile à gérer quand l’évolution du patient est médiocre, que les journées avec un bilan hydrosodée négatif (hyperperméabilité capillaire) passent et qu’il s’inflate avec persistance d’une oligurie et la fonction rénale en chute libre. Là, l’apprentissage selon l’école de la Réanimation Médicale nous enseigne presque comme un dogme qu’il ne faut absolument pas prescrire de diurétiques. Je suis complètement d’accord avec cette idée, j’ai été éduqué comme ça, et dans les situations inflammatoires où le secteur interstitiel gonfle à vue d’oeil, j’ai peur de faire pire que mieux avec des diurétiques. En effet, l’oedème tissulaire même s’il est délétère a beaucoup moins de conséquence que l’accentuation d’une hypovolémie. Ainsi je continue de croire que la genèse artificielle d’une diurèse participe à l’anxiolyse du docteur et à la dégradation de l’état du patient. Je retiens donc que chez un patient agressé, intubé/ventilé, pour lequel la situation n’est pas réglée le furosémide est à garder dans la poche.
La situation devient tout à fait différente, et les néphrologues nous guident dans ce sens, lorsque le patient sort de son agression aiguë. Lorsque le patient retrouve une diurèse, peu à peu efficace, tout en ayant accumulé de l’eau et du sel dans les jours/semaines précédentes, je comprends mieux l’utilisation de diurétiques de l’anse à fortes doses.
Par contre, là où le casse tête est à son paroxysme pour moi ce sont les situations post-opératoires de chirurgie lourde, notamment la chirurgie thoracique ou digestive.
On a face à nous un patient vasculaire, qui vient de bénéficier par exemple d’une oesophagectomie pour un cancer, qui se dégrade globalement en post-opératoire : majoration de l’encombrement bronchique, dyspnée, oligurie. Par expérience nous observons que les patients souffrent essentiellement de leur insuffisance respiratoire, c’est ça qui les précipite en réanimation. On a alors tendance à jouer des cartes très empiriques en plus des recherches des complications classiques : souffrance de la zone opératoire, embolie pulmonaire, sepsis, etc. Bien souvent on se retrouve dans une situation batarde sans argument franc pour une complication classique, on met alors tout sur le dos de l’ischémie/reperfusion peropératoire et de l’inflammation. Nous utilisons alors de façon complètement empirique des diurétiques en espérant diminuer la surcharge du secteur interstitiel pulmonaire. Fait-on n’importe quoi ? Nous essayons de nous faire guider par l’échographie cardiaque quand nous savons ou quand les cardiologues sont disponibles pour nous aider mais cet examen a lui aussi ses limites. Bref c’est difficile. La situation évolue encore quand malheureusement ce type de patient est admis en réanimation en SDRA, avec des poumons lourds d’oedème et un coeur droit qui se dilate dans un contexte d’hypoxémie et d’HTAP. Je m’interroge sur le retentissement en amont de l’augmentation importante des pressions veineuses et sur la perfusion rénale : les diurétiques ont-ils là encore une place à trouver ?
d’après le Dr Vincent Bourquin sur son excellent site www.nephrohug.org
10 réponses sur « Des diurétiques… »
Entièrement d’accord avec toi en ce qui concerne la diurèse anxiolytique.
Concernant le patient qui récupère de son agression, pourquoi se substituer à la physiologie au risque de générer des troubles hydroélectrolytiques ? Laissons-les pisser tranquillement et naturellement leurs 15 kg d’oedèmes, ce qui va leur demander quelques jours, c’est un des meilleurs signes de guérison et que celle-ci se poursuit. Je n’ai jamais adhéré à la diuréticothérapie cosmétique.
Je n’ai jamais compris comment on pouvait justifier intellectuellement d’apporter 12 à 18 g de sel par jour à un patient tout en prescrivant concommitamment du furosémide en fonction d’un objectif de diurèse. Je répétais toujours à mes internes que ce qui est grave c’est l’insuffisance rénale, pas l’oligurie. Demander quotidiennement des ionogrammes urinaires et sanguins pour prescrire des diurétiques sans réfléchir est un non-sens qui me met hors de moi.
En post-op d’une chirurgie digestive lourde, il faut garder en tête que le premier diagnostic à éliminer devant une insuffisance respiratoire aiguë est une complication chirurgicale, et que dans ce cas on risque rapidement de se retrouver en situation d’hypovolémie efficace.
Hors de cette situation, comme tu le dis, c’est surtout l’anamnèse du patient qui apportera la réponse. Je trouve personnellement que dans ce cas les situations les plus compliquées à gérer sont les gros troubles de la fonction diastolique préexistants, ou majorés par l’ischémie myocardique. Et s’ils sont ventilés, j’ai plutôt tendance à les préférer un peu remplis, en s’aidant des paramètres type deltaPP en sachant qu’avec des cristalloïdes, au pire ils auront un peu d’oedème, mais que ça n’a jamais tué personne. L’hypovolémie en revanche…
eh bien je vois que tu es également matinal 🙂
Lorsque je parlais des patients qui sont en voie d’amélioration, je suis d’accord avec toi pour dire que le rein est bien plus malin que nous… Simplement j’avais en tête ces patients limites, chez qui l’on peut parfois espacer une dialyse grace aux diurétiques ; en effet on fait souvent face à des contraintes logistiques de disponibilités des machines de dialyse en réa et/ou chez nos copains de la dialyse aiguë en néphro… lorsque le patient est gêné par son hyperhydratation (épanchement pleural) là j’ai l’impression que les diurétiques peuvent accélérer une récupération.
Quant à l’insuffisance cardiaque diastolique, c’est aussi le casse tête et c’est ce que je sous entendais avec l’échographie et certaines limites… on peut aussi faire de mauvaises analyses des indices « statiques » de remplissages. Quant au deltaPP, t’imagines bien qu’à Lille c’est plus que culturel… ça et la Svo2 sont désormais intégrés dans notre patrimoine génétique 😉
on le fait quand le débat sur l’utilisation magico-religieuse des SAC ?
« eh bien je vois que tu es également matinal »
Eh, dix heures de décalage horaire expliquent bien des choses 😉
C’est quoi les SAC ? L’acronyme ne me dit rien. L’âge sans doute…
autant pour moi 😉 pour moi c’est la non possibilité d’aller courir après les blocs -> réveil matinal
SAC = serum albumine concentrée (20%)
Ah… ça… Je pense que le mot « cristalloïdes » dans mon commentaire doit exprimer le fond de ma pensée.
« Corriger » (comment ? pour combien de temps ? pendant combien de temps ?) une albuminémie basse n’a jamais amélioré la survie des patients, au contraire, ce qui en soit clôt la discussion, ni traité la pathologie responsable de l’hypoalbuminémie.
eh bien je ne sais pas s’il n’y a pas aussi une place à trouver…
une chose est claire pour moi : je comprends mal l’intérêt à la fois médical et économique des SAD (albu à 6%) mais les SAC…
nos patients cancéreux, dénutris, bourrés d’inflammation qui font le tableau que je décris en fin de billet semble parfois répondre positivement à un « bolus » de SAC. J’en passe trois de façon très rapprochée, et j’associe parfois un diurétique de l’anse… et j’ai l’impression (d’où le magico-religieux) que ça peut les aider… l’albumine est qd même le principal transporteur dans le sang, elle peut avoir un rôle anti oxydant (bof bof bof) mais je crois quand même que lorsque tu remontes le pouvoir oncotique de ton plasma et ceci en mode bolus, tu peux peut être aider ton patient à drainer de l’oedème (viscéral, pulmonaire, rénal ou autre). Par contre en cas de dégradation majeure (style je suis en SDRA je vais direct en réa), là je pense qu’il est trop tard, l’endothelium serait tellement lésé que rien ne retiendra la flotte. Et là, magie du cerveau humain, don’t say goobye, don’t go away des 2B3 me revient en tête. Imparable : http://www.youtube.com/watch?v=fBrPzLdc6ro
mouais, mouais
j’avais aussi ces certitudes… mais depuis que je découvre le postop « chronique » de chir cardiaque je dois avouer que les diurétiques de l’anse ont des effets étonnants. Et que certains diurétiques distaux peuvent dans un second temps être d’un grand secours. Et tu sais que je suis un adepte du traitement « hormonal » de l’insuffisance cardiaque, et qu’à côté des inhibiteurs de l’enzyme de conversion (un de mes médocs préférés) les bons vieux antialdostérone ont leur place dans cette fameuse phase de récupération. Quant à « l’albulix », après l’avoir banni de mes topos je commence à me poser de sérieuses questions, pricipalement en phase secondaire du SDRA… Mais ceci est une tout autre discussion, my dear
Ah là Joker ! La chir cardiaque c’est un univers incompréhensible pour moi… je n’y suis pas passé et mes petits secondaires en SMUR avec un cocktail de SAP type DOBU ADRE LASILIX SOTALEX CORDARONE m’ont rendu bien dubitatif et ont confirmé ma méconnaissance de ce milieu +++
Plus sérieusement, est-ce que certains post-ops de chir cardiaques n’ont pas des coeurs « sidérés », tout dilatés qui débordent ? (et puis z’avez qu’à les laisser à 4,5 d K+ i’ vous auriez moins d’ennuis 😉 GIK powa )
Quant aux certitudes, c’est bien chez vous (je dis encore chez vous, oui oui) avec BL que j’ai découvert une utilisation intelligente des diurétiques… le problème c’est que ça relève d’une réflexion extraterestre pour moi et que je n’ai pas conclu quelque chose pour ma pratique… ce que je veux dire dans ce billet c’est que c’est vraisemblablement plutôt le moment et/ou certaines pathologies chirurgicales qui influent sur la décision de prescription plutôt que l’inflation hydrosodée et la biologie. Mais je cherche encore à comprendre…
Biz, ça me fait plaisir de te voir passer par ici 🙂
tout à fait d’accord avec toi (le moment vesrsus le poids). Les coeurs sidérés je ne connais pas car je récupère les patients de cardiaque en phase chronique, justement quand le diurétique peut aider le coeur mais tuer le rein, tout est affaire de dosage et de modération.
Pour le GIK je suis persuadé que c’est (avec la vitamine C) un (très vieux) médicament d’avenir. Mais j’ai rarement des « heart out of fuel »…
Pour les SAC :
1 – le pouvoir de drainage des oedèmes périphériques dépendra de l’état de l’endothélium (cf le coeff de réflection de la membrane qu’on oublie trop souvent dans la seconde partie de l’équation de Starling)
2 – et comme tu l’as compris, il y a un effet « bolus » de l’albumine, justifiant son administration en 20% et non pas 4 %. Effet notamment sur… l’endothélium par le biais du glycocalix! cqfd…
3- dans le SDRA on ne comprend pas encore tout mais, pour reprendre cette expression génial d’EK, on crée une « PEP capillaire ». Et en plus, vu les parentés entre membranes des capillaires glomérulaire et alvéolaire et vu les effets diverses (pompes à ions, vasoréactivité) du furosémide, il semble bien que entre la phase inflamatoire et la phase fibroproliférante il y ait une place pour ce bizarre albulix…
PS : je reviens pour la dernière session du DU Polytrau au mois de Mai je crois
oh la la la la ! et maintenant EK rentre dans la mêlée mais il est un peu trop timide pour intervenir directement… je le cite :